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Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal

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« Promesses » de licence de pêche industrielle : l’Etat prend-il ses responsabilités ?

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Communiqué de presse

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Les hommes et les femmes de la pêche artisanale sénégalaise ne sont pas des enfants

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Arrivée massive de bateaux chinois et turcs : menace sur les ressources et les communautés de pêche artisanale

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LES BATEAUX RUSSES VONT-ILS, DE NOUVEAU, ETRE AUTORISES A PECHER AU SENEGAL ?

« L’important n’est pas de convaincre mais de donner à réfléchir »

Photo : Aprapam

Légende : bateau pélagique en rade près de l’Ile de Gorée le 21/12/2013 Position : 14°41,40N 17°23,48N IMO : 9120281 Indicatif d’appel : UBGI6

Rappel

Les petits pélagiques côtiers effectuant des migrations entre le Sahara occidental et la Guinée Bissau et vice- versa, la flotte russe de pêche lointaine composée de chalutiers pélagiques ayant Mourmansk et Kaliningrad comme ports d’attache, à un besoin impératif de pouvoir pêcher au Sénégal où, ces poissons séjournent, chaque année, de décembre à mai.

Entre 2010 et 2012, les armateurs russes ont fait affréter leurs bateaux par des sociétés basées dans des paradis fiscaux. Et par l’intermédiaire d’un homme d’affaires de la place, ont signé avec le Ministre de l’Economie Maritime, des protocoles d’accord leur accordant des droits de pêche à des conditions qui constituent des violations flagrantes de la législation sénégalaise en vigueur.

Que prévoit le code la pêche ?

La loi n° 98-32 du 14 avril 1998 portant code de la pêche dispose de ce qui suit :

- en son article 3 : les ressources halieutiques des eaux sous juridiction sénégalaise constituent un patrimoine national. Le droit de pêche dans les eaux maritimes sous juridiction sénégalaise appartient à l’Etat qui peut en autoriser l’exercice par des personnes physiques ou morales de nationalité sénégalaise ou étrangère. La gestion des ressources halieutiques est une prérogative de l’Etat. L’Etat définit, à cet effet, une politique visant à protéger, à conserver ces ressources et à prévoir leur exploitation durable de manière à préserver l’écosystème marin. L’Etat mettra en œuvre une approche de prudence dans la gestion des ressources halieutiques ;

- en son article 16 : les navires de pêchebattant pavillon étranger sont autorisés à opérer dans les eaux sous juridiction sénégalaise soit dans le cadre d’un accord de pêche liant le Sénégal à l’Etat du pavillon ou à l’organisation qui représente cet Etat,soit lorsqu’ils sont affrétés par des personnes de nationalité sénégalaise.

Aucun des 166 articles du code de la pêche (la loi et son décret d’application) n’autorise ce qu’a fait l’ex MEM qui, plus préoccupé par la réélection de son mentor que par les intérêts du Sénégal, a foulé des pieds le code la pêche pour appliquer sa législation personnelle, et accordé aux russes des avantages outranciers. Il est à noter qu’aucun des protocoles d’accord qu’il a signés avec les sociétés privées n’a été ratifié par l’Assemblée nationale, ni promulgué par le Président de la République, encore moins publié au journal officiel.

Nouvelle approche des russes

Le 9 décembre 2013, le représentant au Sénégal de l’Agence Fédérale de Pêche de Russie (Rosrybolovstvo) qui basé Nouakchott depuis 2002, a été transféré à Dakar en février 2013. Il a été invité par une télévision locale, à une heure de grande écoute. Ainsi, l’intéressé a présenté pendant 47 mn la pêche lointaine russe, sous ses plus beaux atours et in fine, a rappelé que la partie russe attend toujours les résultats de l’évaluation recommandée à l’issue du Conseil Interministériel (CIM) sur la pêche, tenu à Dakar le 18 juin 2013.

La lecture d’une dépêche du FIS du 10 décembre 2012, permet de comprendre que l’objectif principal de Rosrybolovstvo était de faire remonter le volume des captures effectuées par ses chalutiers pélagiques, dans les eaux ouest africaines, à 400.000 tonnes par an. Elles n’étaient que de 211.000 tonnes en 2011 et seulement de 148.000 tonnes pour les 9 premiers mois de 2012.

A cet égard, ayant, sans doute, tiré des leçons de la très forte hostilité des acteurs de la pêche contre la présence des bateaux russes dans les eaux sénégalaises, Rosrybolovstvo semble avoir changé d’approche et sa nouvelle stratégie consisterait à :

a) isoler le Groupement des Armateurs et Industriels de la Pêche au Sénégal (GAIPES) très hostile à la présence des bateaux russes au Sénégal. Des acteurs de la pêche artisanale ont été approchés et avant le sommet maritime de Dakar, une rencontre a été organisée à l’hôtel Savana pour leur apprendre la bonne parole. Il leur a été « remboursé » leurs frais de transport. Les russes ont en outre promis, à la fois, de résoudre le problème de la distribution du poisson à l’intérieur du Sénégal, à débarquer du poisson à Dakar à condition que les mareyeurs paient le prix, à apporter des appuis financiers et de participer à relance de la société Africamer. La Russie offre également des bourses d’études, des camions et du matériel de bureau et des patrouilleurs de surveillance ;

b) jouer sur les résultats des investigations faites conjointement par la Russie et le CRODT. En effet, la Russie a signé avec le Sénégal un accord de coopération le 8 février 2011 dont l’article 4 prévoit la possibilité d’effectuer en commun des investigations dans notre ZEE et d’analyser les données collectées. Un chercheur russe a même été autorisé, avec la complicité du comité d’organisation, à faire une présentation au salon maritime de Dakar tenu du 4 au 6 octobre 2013. Le chercheur russe a profité de la tribune qui lui était offerte, pour indiquer que les résultats qu’il venait de livrer à l’assistance, étaient ceux de la mission effectuée avec le CRODT décembre 2012 et validés par les 2 parties. Le directeur du CRODT a été obligé de le recadrer, en précisant que lesdits résultats n’engageaient pas sa structure, aucune réunion de validation n’ayant été tenue.

Par conséquent :

- d’une part, tous les acteurs industriels comme artisans de la pêche sénégalaise doivent se remobiliser afin que le bloc qui a, en 2012, fait cesser les activités de pêche des chalutiers russes se reconstitue. Le cadre de concertation entre en acteurs artisans et industriels retenu à l’époque doit être de toute urgence formalisé ;

- d’autre part, le CRODT qui a eu au sommet maritime de Dakar, un aperçu de ce que les chercheurs russes sont capables de faire sait à quoi s’en tenir.

Les positions changeantes du Sénégal

De nombreuses déclarations ont été faites entre avril 2012 et juin 2013. Trois d’entre elles ont retenu notre attention.

Les 2 premières sont du ministre chargé de la pêche d’avril 2012 à août 2013 :

- « après avoir réuni tous les éléments d’appréciation du dossier relatif aux protocoles d’accord autorisant les navires étrangers à exploiter les ressources pélagiques migratrices dans les eaux sous juridiction sénégalaise, le gouvernement a souverainement pris la décision de mettre fin à ces activités au plus tard le 30 avril 2012 délai de rigueur » ;

- la décision de mettre fin aux autorisations de pêche accordées à 29 navires étrangers n’est pas une pression, ou un harcèlement contre les pays d’où ils sont originaires. Ce retrait ne signifie pas, non plus, une fermeture des eaux sénégalaises. Nous allons continuer à accorder des autorisations de pêche mais en tenant compte de nos ressources et des intérêts de l’Etat. Nous allons étudier avec les experts le nombre d’autorisations de pêche à octroyer ».

La troisième déclaration a été faite, le 15 avril 2013, à Washington DC par la plus haute autorité du pays. Chris PALA de IPS en a fait la relation suivante : nous donnons au stock 1 an et demi pour récupérer, maintenant nous allons trouver une approche responsable de la gestion de cette pêche de façon durable afin que nos pêcheurs puissent pêcher et que les chalutiers étrangers soient aussi en mesure d’opérer dans des conditions strictement contrôlées ».

Cette déclaration a fait réagir les plus grands spécialistes des petits pélagiques, des chercheurs de renommée internationale notamment PAULY, GASCUEL et CURRY qui ont dit ce qui suit :

- pour PAULY : les navires étrangers qui pêchent la sardinelle ont considérablement réduit la population qui se déplace entre le Sénégal et la Mauritanie pêchant plus de deux fois ce que le stock peut supporter. Même la pêche artisanale prend trop de poissons et ses captures devraient être limitées. Ce serait difficile de dire aux pêcheurs locaux d’arrêter de pêcher pour nourrir leur pays alors que les chalutiers étrangers sont autorisés à emporter de grosses prises. Rappelons pour mémoire que PAULY avait salué la décision d’annuler les licences des chalutiers russes en disant ceci : maintenant que cela a été fait, le Sénégal peut essayer de réduire ses prises afin que les populations de sardinelles puissent se reconstituer.

  • - GASCUEL s’est écrié : s’ils ramènent les chalutiers industriels, une seule mauvaise année suffirait pour que le stock soit décimé ;
  • - enfin, CURRY a estimé que ce serait suicidaire de ramener les chalutiers russes, il n’y a pas encore assez de sardinelles.

Comment peut-on ignorer les avis de ces éminents chercheurs ainsi que les recommandations du groupe de travail FAO/COPACE, composé d’experts de très haut niveau représentant les Etats côtiers (dont le Sénégal) et ceux des pays qui pêchent dans la sous région. Ce groupe de travail recommande, depuis plusieurs années, la réduction de l’effort de pêche sur cette ressource. A sa dernière réunion, tenue en juin 2013, à Nouadhibou, le groupe de travail a réaffirmé ses recommandations des années précédentes.

Les avis des scientifiques n’ont nullement ému le locataire du 4ème étage du building administratif qui, à l’issue du CIM du 18 juin 2013, a fait adopter la recommandation suivante : maintenir l’arrêt des autorisations de pêche aux chalutiers pélagiques jusqu’à ce qu’une évaluation de cette opération soit réalisée. Cette évaluation devra notamment cerner les impacts de cette opération au plan biologique et budgétaire, sur les administrations et le climat social dans le secteur de la pêche. En outre, toute honte bue, les licences illégales délivrées aux chalutiers pélagiques russes par l’ex MEM sont qualifiées « d’autorisations exceptionnelles ».

N’est ce pas ce même ministre qui, le 25 avril 2012, soutenait avoir réuni tous les éléments d’appréciation du dossier. Que s’est-il passé entre temps pour que, le 18 juin 2013, une évaluation soit jugée utile ? Et puis, pour des ressources partagées, que vaut une évaluation concernant le Sénégal seul, alors que des données qui concernent toute leur zone d’évolution et portent sur une dizaine d’années sont disponibles ?

Le stock petits poissons pélagiques côtiers, nous ne le répéterons jamais assez, est surexploité et cette surexploitation, présente un risque sérieux pour la continuité de la pêche, aussi bien pour les chalutiers industriels que pour la flotte artisanale.

Pour éviter aux pays de la sous région de se faire une concurrence malsaine, chacun voulant prendre plus de poisson que son voisin, les ressources étant partagées, la gestion concertée est la solution à laquelle, tôt ou tard, les Etats côtiers seront obligés de recourir car c’est elle qui peut assurer la durabilité de la pêche.

Conclusion

En définitive, quelle que puisse être l’offre russe, elle ne mérite pas que nous hypothéquions la pérennité de nos ressources halieutiques. Nous avons le devoir de veiller à ce que, les générations futures, elles aussi, puisent avoir la possibilité de satisfaire leurs propres besoins. L’article 3 du code de la pêche ne dit-il pas que l’Etat mettra en œuvre une approche de prudence dans la gestion des ressources halieutiques ?

Il ne faut donc pas autoriser les bateaux russes à pêcher au Sénégal et mettre les populations sénégalaises en état d’insécurité alimentaire, les pêcheurs, les femmes transformatrices et les mareyeurs au chômage. En toute honnêteté, il n’y a pas de surplus pouvant être cédé ; les russes doivent être, gentiment mais fermement, invités à aller pêcher ailleurs.

Comment la Russie qui a, par tonne de poissons pêchés, pu verser au Maroc 270$ en 2010 et 378$ en 2013, a-t-elle pu pour les mêmes poissons proposer au Sénégal 70 $, lors de l’émission du 9/12/2013 ? Le Sénégal ne mérite pas ça.

Dr Sogui DIOUF Vétérinaire soguidiouf@gmail.com