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Contribution
POLEMIQUE PORTANT SUR LES DROITS DE PECHE ACCORDES A DES CHALUTIERS PELAGIQUES ETRANGERS.
« L’harmonie n’est belle que quand le dire et le faire vont ensemble ».
Dans sa livraison des 4 et 5 juin 2011, le quotidien L’AS a, sous la plume de M. Papa Ismaila KEITA, fait paraître un article dans lequel, il relate une intervention du Directeur des Pêches Maritimes (DPM) portant sur la polémique autour des licences de pêche avec un sous-titre formulé comme suit « le directeur de la pêche dément le GAIPES ». L’article rend compte de la réunion organisée par le Réseau sur les Politiques des Pêches en Afrique de l’Ouest (REPAO). En liminaire, il faut en convenir, dans cet article, il n’est pas aisé de faire une distinction nette entre les affirmations du représentant de l’administration des pêches et les commentaires du journaliste, l’analyse s’avère ainsi difficile pour quelqu’un qui n’a ni assisté à la rencontre, ni imprégné du contexte dans lequel, les propos cités ont été tenus.
En outre, on trouve dans la relation des points n’ayant aucun rapport ni avec le titre de l’article, ni avec son sous-titre notamment une donnée statistique extraite, sans doute, d’une communication de J.P.CHAUVEAU portant sur l’évolution du taux de motorisation des pirogues au Sénégal de la période coloniale à ce jour, ainsi qu’une accusation selon laquelle, la surexploitation des stocks est le fait des navires étrangers. Ces propos, ne proviendraient pas du GAIPES et les deux points cités ne méritent pas qu’on s’y attarde, au risque de se laisser divertir.
Les points évoqués, sur lesquels il convient de se pencher sont ceux énumérés ci-après :
- ce sont 14 chalutiers qui ont été autorisés à pêcher et ils ont capturé environ 40.000 tonnes de petits pélagiques côtiers ; le trésor public allait encaisser 600 millions FCFA. Les 22 navires et le volume de 300.000 tonnes de captures ne sont qu’une vue de l’esprit ;
- ces bateaux - sources de vives polémiques au Sénégal - ont toujours été autorisés à pêcher dans les pays de la sous région comme la Mauritanie. Ce qui veut dire que si les ressources halieutiques sénégalaises (sic) migrent vers la Mauritanie, elles tombent dans l’escarcelle des bateaux étrangers ;
- l’intérêt de l’Etat doit primer sur les intérêts particuliers.
Observations
- la réponse attendue du ministre de tutelle et de ses soutiens est : quel est le fondement juridique des protocoles d’accord signés ? Ceux qui ont initié et exécuté cette forfaiture, sont dans l’incapacité de dire quel article, parmi les 166 de la loi 98-32 du 14 avril 1998 et de son décret d’application 98-498 du 10 juin 1998, prévoit l’attribution de droit de pêche à des bateaux étrangers, sous le régime d’un protocole d’accord. Toute autre réponse ne serait que diversion. Par ailleurs, les tentatives d’isolation du GAIPES seront vaines dans l’affaire concernée. En effet, ce n’est pas le GAIPES, seul, qui s’oppose mais l’ensemble des acteurs de la pêche tant industrielle qu’artisanale. La pêche artisanale est même la plus concernée. En outre, c’est le lieu de souligner, avec force, que si l’initiative engagée par la tutelle l’avait été, conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, dans la transparence, on n’en serait pas, aujourd’hui, à polémiquer ni sur le nombre de bateaux, ni sur le volume de leurs captures ;
- les propos tenus lors de la réunion organisée par le REPAO contredisent plus, les déclarations du ministre de tutelle que de celles du GAIPES. En effet, après une visite effectuée sur un bateau russe à quai, la Tutelle avait accusé ceux qui sont opposés à son projet - frappé d’illégalité - de faire de la désinformation parce que la mer regorgeait de poissons d’une part et d’autre part, que ce sont 5 milliards FCFA que le trésor allait encaisser. S’attaquer au GAIPES tout en confirmant la surexploitation de certains stocks et en annonçant que le trésor public n’allait encaisser qu’environ 600 millions de FCFA, constitue un démenti voire une prise à contre-pied de la tutelle ;
- celui qui « philosophe » pour reprendre l’expression de M. Papa Ismaila KEITA en déclarant que « l’intérêt de l’Etat doit primer sur les intérêts particuliers », alors qu’il est bien au fait de tout ce qui été planifié et exécuté dans une opacité totale, n’a pas été « fair» comme diraient les anglais. Pour 600 millions FCFA, on n’a pas hésité à violer la loi portant code de la pêche maritime et mieux à s’asseoir sur les principes sur lesquels, reposent la politique de développement des pêches du Gouvernement, politique approuvée en 2007 par le Groupe thématique des bailleurs de fonds sur la pêche, notamment : création d’industries de traitement des produits à terre, exportation de produits élaborés, génération d’emplois et création de valeur ajoutée.
Ce qu’il faut retenir
En Mauritanie, pays de référence des gens du Ministère de l’Economie Maritime, 95% des prises sont exportées à l’état brut, c’est-à-dire sans aucune transformation, les emplois créés ne dépassent pas les 30.000 et surtout, sans l’apport des droits de pêche concédés, ce pays ne pourrait pas boucler sa loi des finances. Les droits de pêche couvrent au moins 25% du budget de la Mauritanie qui, pour ne pas perdre une partie de la compensation que l’UE menaçait de ne pas lui verser a été contrainte en violation de sa législation des pêches, d’autoriser des bateaux à pratiquer le chalutage en bœuf.
Le Sénégal, par contre, n’a pas accepté les conditions que l’UE voulait lui imposer et depuis 2006, l’accord de pêche signé en 1980 par les deux parties est suspendu. En effet, depuis 1997 le Sénégal se passe des compensations de l’UE relevant de l’accord de pêche. On éconduit l’UE avec lequel, un accord en bonne et due forme a été signé puis adopté par l’assemblée nationale et ratifié par le président de la République, accord qui prévoit une compensation financière fixe de 10 à 15 millions d’euros suivant les droits de pêche concédés. Ensuite, on signe, dans une opacité totale, un protocole d’accord avec des affairistes qui offrent non pas une contrepartie financière dont le montant est connu avant que les navires ne commencent à pêcher, mais une rémunération de 17 FCFA le kilo de poisson capturé dans les eaux sénégalaises, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de combines. Dans quel monde sommes-nous ?
Sur un plan plus technique, il convient de noter que dans une communication faite en Mauritanie, Messieurs Lionel Kinadjian et Sidi El Moctar Ould Mohamed Abdellahi, après avoir étudié l’évolution des capacités de pêche dans les eaux mauritaniennes, ont estimé, en moyenne, à 12-13 tonnes à l’heure le rendement d’un chalutier pélagique de 6.714 TJB. Dans un des protocoles d’accord signé avec un opérateur privé (protocole d’accord du 11 mars 2011), cinq (5) chalutiers au moins ont 7.765 TJB. Les 40.000 tonnes de prises déclarées pour 14 bateaux et 60 jours de pêche posent problème. En effet, ces 40.000 tonnes correspondraient à environ 4 heures de pêche par jour, dans les eaux sénégalaises. Aucune personne douée d’un peu de bon sens, ne peut croire que les chalutiers concernés (qui ne battent pas tous pavillon russe) ne sont en activité de pêche qu’environ 4 heures par jour. Il s’y ajoute que le tonnage annoncé ne prend pas en compte, ni les quantités de poissons transformées en farine et en huile de poisson (il faut en moyenne 5 kg de poisson pour produire 1 kg de farine), ni la contre valeur de ces deux produits. Il en serait de même pour les captures accessoires. En effet, avec les sardinelles pêchées les chalutiers russes fabriquent habituellement de la farine de poisson. Leur cible principale étant le chinchard, c’est la recherche de cette espèce, qui les conduit à opérer à l’intérieur des 20 milles ou des 35 milles marins. Ainsi, s’expliquerait l’arraisonnement d’un des bateaux russes au début du mois d’avril 2011, ce fait n’a été connu qu’il y a quelques jours ayant été tenu secret.
Eu égard aux dissimulations et autres arrangements avec la vérité, aux promesses non tenues et à des contrevérités servies, il est difficile de croire à l’annonce faite à l’atelier du REPAO. La contrepartie financière annoncée à savoir 600 millions FCFA (680 millions FCFA plutôt, 40.000 tonnes à 17.000 FCFA la tonne) serait, elle aussi, sous évaluée et son affectation non définie à ce jour. La vérité n’a pas été dite aux sénégalais, les chiffres annoncés au REPAO sont différents de ceux servis en réunion quelques jours auparavant. Ensuite, en soutenant que les conventions sont rédigées sur la base de la législation, on sait que c’est inexact, l’article 3 du protocole d’accord du 11 mars 2011 en est la meilleure preuve.
Dans un tel contexte, des félicitations doivent être adressées à la Marine nationale qui, en arraisonnant deux navires russes, le mois dernier, a redonné espoir à tous ceux qui essaient de faire cesser une opération qui fait du Sénégal la risée de tous ceux qui de près ou de loin suivent cette affaire de pêche illégale. La Marine nationale, en ce qui la concerne, a été fidèle aux vertus qui ont été celles d’officiers à la retraite ou décédés, parmi lesquels doivent être cités GASSAMA, THIAW, DIAM, THIOUBOU et MBOUP qui, lui, est encore actif. Les premiers nommés ont beaucoup aidé la DOPM dans la rédaction de la partie relative aux procédures d’arraisonnement de bateaux en infraction et ont également joué un grand rôle dans la protection des zones de pêche. Quant à M.MBOUP, il a dirigé la Direction de la Surveillance et Protection des Pêches au Sénégal (DSPS) avec professionnalisme, intelligence et intégrité.
Le traitement de l’arraisonnement des 2 chalutiers pris en infraction, à la fin du mois de mai dernier, a permis d’éclairer les positions des uns et des autres. L’amende infligée aux deux chalutiers délinquants (47 millions FCFA) aurait pu être beaucoup plus importante, si certains ne s’étaient pas, obstinément, opposés à la confiscation des captures, possibilité pourtant prévue par la loi. Pourquoi, cette indulgence à l’endroit de bateaux qui, dit-on, étaient autorisés à pêcher et qui, nonobstant, ont cherché à cacher leur marquage ? Que cherchaient-ils à dissimuler ? Pourquoi cette défense acharnée d’une initiative illégale ? Non seulement on cède du poisson à vil prix et quand un délit est commis on fait preuve de mansuétude. C’est ainsi qu’on assure la défense des intérêts du Sénégal ?
Le temps est un grand bavard : il parle sans être interrogé, dit-on, ainsi dans peu de temps on en saura davantage sur cette opération illégale où le Sénégal ne tire aucun profit et qui préoccupe la banque mondiale eu égard à la procédure suivie qui fait désordre. En outre, plus ceux qui parlent au nom du ministère de l’Economie maritime s’exprimeront, plus ils s’enfonceront davantage, comme des naufragés pris dans un banc de sable mouvant.
Il n’est pas question de rester les bras croisés et laisser quelqu’un qui, d’un jour à l’autre, peut changer de département, engager des initiatives, par pur mimétisme, initiatives susceptibles de détruire le travail de plusieurs décennies et s’en aller, en laissant à ses successeurs des dégâts qu’ils mettront des années à réparer. C’est tout le sens du combat mené contre cette opération à la fois illégale et préjudiciable aux intérêts des populations sénégalaises. C’est la deuxième fois qu’on tord le cou à la loi, ça suffit. Il reste encore 2 bateaux en pêche, qu’ils partent et ne reviennent plus jamais.
Pour terminer, deux dispositions inscrites dans la Constitution - loi fondamentale - du Sénégal méritent d’être rappelées :
- la première est contenue dans le préambule et il y est dit : « le peuple du Sénégal souverain affirme son attachement à la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques ainsi qu’au principe de bonne gouvernance » ;
- la seconde qui se trouve à l’article 37 impose à tout Président de la République élu, à prêter le serment suivant « je jure d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois… »
Dr Sogui DIOUF, vétérinaire