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Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal

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« Promesses » de licence de pêche industrielle : l’Etat prend-il ses responsabilités ?

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Communiqué de presse

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Les hommes et les femmes de la pêche artisanale sénégalaise ne sont pas des enfants

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Arrivée massive de bateaux chinois et turcs : menace sur les ressources et les communautés de pêche artisanale

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il y a 10 ans 3 825 Contributions


Délivrance non conforme à la loi d’autorisations de pêche à des thoniers canneurs étrangers

Photo : bluefintuna.com

« Pour construire un avenir, il faut connaître le passé »

Historique de la pêche thonière au Sénégal

Dans les années 50, de nombreux thoniers canneurs bretons et basques ont exercé leurs activités de pêche dans les eaux sénégalaises, chaque année, de novembre à avril, période qui coïncide avec l’arrêt de la saison de pêche du thon blanc a fait de Dakar leur base de repli. Au bout de quelques années de séjours temporaires, ces thoniers regroupés dans deux coopératives Itsasokoa et Lagun Artean ont fini par s’implanter, à Dakar, toute l’année.

Des prospections, faites avec les bateaux « Gérard Treca » et « Marcella-Yveline », ont prouvé, à la fois, l’existence d’importants bancs de thon dans les eaux sénégalaises et la pertinence de la création d’une industrie thonière au Sénégal.

Dans les années 60, Dakar comptait 7 conserveries qui, à partir des années 70, n’étaient plus que 3. Il s’agit des Conserveries du Sénégal (CDS), de la SAPAL et de la SAIB. Elles produisaient des conserves emboitées sous les marques françaises Pêcheurs de France pour les CDS, Saupiquet pour la SAPAL et Pêche et Froid pour la SAIB.

Les Conserveries du Sénégal (CDS) sont devenues en 1977 Société Nouvelle des Conserveries du Sénégal du Sénégal (SNCDS) qui, n’arrivant pas à se relever de difficultés financières, a fini, avec l’aide de l’Etat, à se retirer de la production qui, à partir de l’an 2000, était assurée par la société d’exploitation SE-SNCDS, SNCDS devenant une société de patrimoine.

La SAPAL et la SAIB ont été depuis rachetées par des sénégalais et sont devenues respectivement INTERCO et PFS. Ces 2 sociétés ont disparu et SNCDS devenue, entre temps, une société d’Etat a été vendue en 2012 à une société coréenne.

Pour l’approvisionnement des conserveries, l’Etat avait également créé, en 1965, la Société Sénégalaise d’Armement à la Pêche (SOSAP), avec près de 20 thoniers canneurs et senneurs devenant ainsi, l’un des tout premiers armements thoniers du monde. On ne soulignera jamais assez la démarche logique des autorités sénégalaises qui, au lieu de compter sur un approvisionnement étranger, ont mis sur pied un armement national.

Malheureusement, du fait de l’imprudence d’un ministre qui, ignorant que l’URSS n’a jamais construit le moindre thonier durant toute son existence, a succombé aux chants des sirènes russes en confiant à un de leurs chantiers navals, la construction des premiers thoniers de la SOSAP. Cette commande en Russie a coûté très cher à la SOSAP, qui a mis la clef sous le paillasson en 1977, non sans avoir englouti des sommes colossales dans la correction, en France, de malfaçons constatées sur les bateaux construits en Russie.

Dans les années 70, la pêche du thon s’est déplacée vers le sud avec l’avènement des senneurs et Abidjan a pris la place de Dakar. La Côte d’Ivoire bien que n’étant pas située sur une zone de pêche de thon a su, néanmoins, avec des mesures incitatives, faire d’Abidjan un grand port de transbordement. Les cadences de déchargement y sont autrement plus importantes qu’à Dakar ; un cargo déchargé en 3 jours à Abidjan, l’est en 5-6 jours à Dakar.

Il est à noter que le thon pêché à la canne est de meilleure qualité que celui pêché à la senne tournante. Le premier meurt rapidement alors que le second meurt par asphyxie après s’être longtemps débattu. Aussi, la fabrication de conserves avec du thon pêché à la canne a-t-elle longtemps été l’atout majeur des conserveries de Dakar. Et le Sénégal, qui a disparu aujourd’hui des tablettes, fut le 2ème exportateur mondial de thon.

Thunnus obesus

Il faut aussi rappeler que près de 50 senneurs et canneurs ont, dans le cadre de l’accord Sénégal-Union Européenne (UE), pêché dans les eaux sénégalaises jusqu’en 2006. Les deux parties ne s’étant pas entendues sur le 19ème protocole qu’elles négociaient, les thoniers concernés auraient dû quitter Dakar depuis. Les protocoles qui couvrent des périodes allant de 2 à 4 ans portent sur : le nombre de bateaux et le type de pêche, les modalités d’exercice de leurs activités, ainsi que le montant de la compensation financière. C’est le lieu de souligner que si des canneurs sont restés basés à Dakar, c’est parce qu’ils ne peuvent pas pêcher ailleurs. En effet, la pêche à la canne se fait avec de l’appât vivant et le Sénégal est un des 2 pays où, on trouve de l’appât en quantité et en qualité. Même avec l’extension progressive des captures dans la zone mauritanienne dans les années 90, il faut, au préalable, s’approvisionner en appât au Sénégal pour aller pêcher en Mauritanie. La zone de Téma au Ghana offre, à un degré moindre, les mêmes facilités aux pêcheurs asiatiques qui y opèrent.

Cette introduction serait incomplète si nous ne signalions pas, l’innovation constituée, dans les années 90, par la mise des thons en filets (longes). Depuis, la mise en conserve (appertisation) n’est plus la seule utilisation du thon pêché.

Que dit le code de la pêche (loi 98-32 du 14 avril 1998 et décret 98-498 du 10 juin 1998) concernant l’octroi de droits de pêche.

La loi 98-32 en son article 16 dispose de ce qui suit : « les navires de pêche battant pavillon étranger sont autorisés à opérer dans les eaux sous juridiction sénégalaise soit dans le cadre d’un accord de pêche liant le Sénégal à l’Etat du pavillon ou à l’organisation qui représente cet Etat, soit lorsqu’ils sont affrétés par des personnes de nationalité sénégalaise ».

Le décret 98-498 précise en son :

  • article 23 que l’affrètement de navires de pêche étrangers par des personnes morales de nationalité sénégalaise ne peut être autorisé qu’à titre exceptionnel par le Ministre chargé de la pêche maritime, pour faire face à des difficultés d’approvisionnement des industries de traitement de la pêche ;
  • article 24, l’affrètement ne peut être autorisé que pour les thoniers (canneurs et senneurs)…, le navire affrété doit débarquer obligatoirement la totalité de ses captures au Sénégal, l’affrètement est fixée à un an renouvelable une fois.

Si l’unique objectif visé avec le protocole thonier était d’aider des industries sous-approvisionnées, les dispositions énoncées ci-dessus suffiraient amplement pour l’atteindre.

Argumentaire du MPAM

Les arguments avancés par le MPAM se résument ainsi qu’il suit :

  • les unités de transformation de produits de la pêche de Dakar sont sous approvisionnées ;
  • des stocks importants de thon existent dans les eaux sénégalaises ;
  • les armateurs ont exprimé la volonté de pêcher et de débarquer le thon à Dakar.

Se fondant sur ce triple constat, le Ministre de la Pêche et des Affaires maritimes (MPAM) a signé avec les armateurs des thoniers canneurs français et espagnols basés à Dakar, le 17 mai 2013, un protocole d’accord autorisant leurs bateaux à poursuivre leurs activités de pêche dans les eaux sénégalaises.

Interrogations.

Compte tenu de ce qui précède on peut, légitimement, se demander pourquoi :

  • les ministres chargés de la pêche qui se sont succédé au 4ème étage du building administratif depuis 2006 préfèrent recourir à l’illégalité (signature d’un protocole avec des privés) alors qu’une disposition légale (l’affrètement) existe ?
  • bien que l’on prétende que le protocole a pour objet l’approvisionnement des industries locales confrontées à un déficit de matières premières, l’exportation des captures est pourtant autorisée en cas de défaut de paiement. N’ouvre-t-on pas ainsi une piste large comme une piste d’aéroport, à des armateurs surtout intéressés par l’exportation de leurs captures. En outre, cette libéralité n’affaiblit-elle pas l’argumentation du MPAM car « on ne pas peut pas, à la fois, être sincère et le paraître » ?
  • à qui veut-on faire croire que SCA-SA qui peut traiter 25.000 tonnes/an ne soit pas capable d’absorber les 12.575 tonnes débarquées par les canneurs basés à Dakar ?
  • en 2001 de nombreux agriculteurs ont vu leurs livraisons d’arachide impayées, ont-t-ils été autorisés, à l’époque, à exporter leurs graines à l’étranger ?

On peut surtout se demander s’il revient aux ministres chargés de la pêche :

  • d’assurer l’approvisionnement d’industries privées ayant choisi librement d’investir dans une filière de leur choix ?
  • d’établir une liste des usines autorisées à acheter les captures des canneurs basés à Dakar ? Liste où figure, au moins, une entreprise qui ne fait que de la sous-traitance, en traitant des produits appartenant à des tiers n’ayant ni installations de traitement, ni agrément à l’exportation. Dans La Lettre de Politique Sectorielle de la Pêche et de l’Aquaculture de 2008, il est pourtant cité parmi les objectifs et stratégies de développement « le renforcement des contrôle et l’instauration de sanctions visant à réprimer les pratiques déloyales (sous- traitance) ;
  • de s’ingérer dans des transactions commerciales en définissant, à la fois, les modalités de fixation des prix à appliquer ou de résoudre les problèmes de factures impayées. Même du temps où la DOPM organisait les campagnes thonières, l’Etat ne s’est jamais mêlé de conflits commerciaux qui relèvent de la compétence des tribunaux.

Enfin, nulle part dans le protocole signé, il n’est indiqué la destination de la redevance de 95.000 FCFA/TJB à payer par les canneurs, pour pouvoir pêcher au Sénégal. En outre, la loi 98-32 dispose en son article 23 que : « l’octroi d’une licence de pêche ou son renouvellement est subordonné au versement d’une redevance dont le montant et les modalités de paiement sont fixés par arrêté interministériel ». Celui en vigueur ne prévoit aucune redevance d’un montant de 95.000 FCFA par TJB et les Domaines ne devraient pas pouvoir, par orthodoxie budgétaire, la recouvrer.

Conclusion

Le protocole signé avec des armateurs privés, comme ceux signés, entre 2010 et 2012, pour des chalutiers russes, n’est pas conforme à la loi 98-32. Le GAIPES qui a couvert un temps l’opération s’en est démarqué finalement. Concernant l’UE, elle n’aurait jamais dû tolérer au Sénégal ce qu’elle interdit en Mauritanie.

Avant, les accords de pêche étaient signés, au nom de l’Etat représenté par le ministre chargé de la pêche. Ces accords étaient ensuite ratifiés par l’Assemblée nationale puis promulgués par le Président de la République (PR) et enfin publiés au journal officiel. Aujourd’hui, on évite l’Assemblée nationale et le PR avec des protocoles d’accord signés entre le Ministre compétent et des privés et on s’arrête là. Pourquoi ?

Ce n’est pas avec des placébos mais avec un projet bien ficelé que Dakar pourra regagner son lustre d’antan. Une conserverie d’une capacité de 25.000 tonnes ayant repris ses activités, celle-ci peut être approvisionnée en attirant à Dakar des senneurs à qui, on offrirait des conditions compétitives. En outre et surtout, les coréens ayant racheté récemment 2 thoniers français et étant propriétaires de senneurs qui opèrent dans l’océan pacifique, certains de ces bateaux pourraient être délocalisés et « repavillonnés » dans le respect de la loi et celui des règles d’origine. Ils assureraient ainsi l’approvisionnement de SCA-SA en s’abstenant, toutefois, de toute fraude sur l’origine qui pourrait entraîner le retrait de l’agrément du Sénégal ce qui, il va sans dire, serait catastrophique.

Enfin, l’approvisionnement des usines locales peut également se faire avec des canneurs neufs ou peu âgés, ces bateaux ont toujours leur place à Dakar où, ils ont développé une technique de pêche qui leur permet d’être rentables et de débarquer une quantité appréciable de matières premières de qualité. A cet effet, il faudrait prendre, à bras le corps, le lancinant problème du financement des activités de pêche afin de le résoudre enfin.

En définitive, violer la loi, selon son bon vouloir, ne saurait être un signe de bonne gouvernance d’une part et de l’autre, persévérer dans l’erreur ne rend pas légitime.

Dr Sogui DIOUF Vétérinaire soguidiouf@gmail.com

Contribution publiée dans sudquotidien du 15 juillet 2013

Le Protocole de pêche entre le Ministère de le Pêche et des Affaires maritimes et les Armateurs Canneurs espagnols et français basés à Dakar, est disponible au format pdf par le lien suivant : Protocole thonier_Senegal_Canneurs EUR version signe_Mai 2013.pdf