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Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime

Les enjeux des négociations de l'accord de pêche Sénégal-Union Européenne

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Communiqué du Ministère des pêches

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La transparence dans les pêches maritimes africaines

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Lutte contre la pêche INN : L'UE presse le Sénégal à agir plus fermement

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il y a 10 ans 21 154 Contributions


Les accords de partenariat de pêche durable entre l’Union Européenne et des pays tiers : le cas du sénégal

Photo : Aprapam

"Le poisson devient conscient quand il est déjà dans le filet"

L’Union Européenne (UE) a signé avec des pays tiers, 14 Accords de Partenariat de Pêche Durable (APPD). Onze (11) sont des accords thoniers et trois (3) des accords mixtes.

La compensation financière annuelle servie par l’UE va de 18 à 70 millions d’euros pour les accords mixtes, tandis que pour les accords thoniers, la contrepartie annuelle oscille entre 435.000 et 5 millions d’euros.

Dans le cas particulier de l’APPD avec le Sénégal, certains compatriotes ont considéré que les eaux sénégalaises allaient être envahies et pillées par des bateaux européens contre le versement d’une compensation financière "insignifiante et humiliante".

D’autres ont voulu faire croire, à tort, que les 28 thoniers autorisés à pêcher au Sénégal vont augmenter la pression sur la ressource. Pourtant, ces bateaux sont déjà dans la pêcherie étant attributaires de licences de pêche au Gabon et en Côte d’Ivoire. Rappeler que les thoniers senneurs opèrent dans une vaste zone allant de l’Angola à la Mauritanie et que le stock de thon n’appartient pas à un pays mais à tous et leur gestion est assurée par un organisme international l’ICCAT.

Accords de pêche et satisfaction des besoins en poisson

 

La CEE d’abord, l’UE ensuite, ont négocié des droits de pêche et mené des actions destinées à sécuriser l’approvisionnement du marché européen en produits de pêche Ainsi, l’UE a :

- signé des accords de pêche d’abord avec des pays tiers, où de nombreux bateaux européens ne pouvaient plus pêcher leurs eaux étant désormais sous la juridiction de pays souverains. Dans ces accords, les bateaux étrangers ne se souciaient que de pêcher, de payer et de partir. Par contre, avec les APPD actuels, l’UE parle surtout de partenariat, les possibilités de pêche étant négociées suivant les meilleurs avis scientifiques disponibles et sur l’existence de surplus ;

- ouvert un chantier portant sur la satisfaction des besoins de l’UE en produits de pêche, besoins estimés à 13 millions de tonnes, qui ne peuvent pas être satisfaits par la production des pays membres. L’UE recourt à des importations provenant de pays tiers qui représentent 65% de sa consommation. Ainsi, en sus de la négociation de droits de pêche, l’Union a participé au financement de la mise aux normes d’unités de transformation de produits de pêche existant dans des pays qui exportent sur son marché et leur a également accordé des facilités d’accès avec une exonération du paiement des droits de douane. En outre, l’UE a responsabilisé les autorités des pays exportateurs compétentes en matière de contrôle sanitaire des produits de pêche qui entrent sur son marché, se limitant à envoyer des missions périodiques de contrôle de l’application des normes sanitaires en vigueur en Europe.

Par ailleurs, l’UE sécurise l’approvisionnement de son marché en octroyant des financements destinés à l’appui à la mise en œuvre de la politique de pêche des pays tiers (appui sectoriel). Ainsi, l’Union se montre soucieuse de l’application de mesures assurant la durabilité de la pêche la bonne gouvernance, la surveillance des pêche, la lutte contre la pêche INN et surtout le recherche scientifique.

Les Accords de Partenariat de Pêche Durable : une nouvelle approche

 

Les accords de pêche durable avec les pays tiers établissent un cadre de gouvernance juridique, économique et environnementale pour les activités de pêche menées par les navires de pêche européens dans les eaux des pays tiers. Les bateaux de pêche de l’Union pêchent uniquement le reliquat du volume admissible des captures déterminé par le pays tiers et établi sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles et des informations pertinentes échangées entre l’UE et les pays tiers concernés relativement à l’effort de pêche total exercé sur les stocks ciblés, afin de garantir que les ressources halieutiques se maintiennent au-dessus des niveaux permettant d’obtenir le rendement maximal durable. Un soutien financier est fourni aux pays tiers afin de supporter une partie des coûts d’accès aux ressources halieutiques présentes dans les eaux du pays tiers et d’établir le cadre de gouvernance, incluant la mise en place et le maintien des instituts scientifiques et de recherche nécessaires, les capacités de suivi, de contrôle et de surveillance, ainsi que tus les autres éléments permettant de renforcer les capacités d’élaboration d’une politique de pêche durable par les pays tiers.

L’APPD entre le Sénégal et l’UE

 

Dans le respect des principes énoncés ci-dessus, le Sénégal et l’UE ont négocié puis paraphé, à la fin du mois d’avril dernier, un APPD qui se résume ainsi qu’il suit :

Les possibilités de pêche concernent 8 thoniers canneurs, 28 thoniers senneurs et, à titre expérimental, 2 chalutiers de pêche démersale profonde ciblant le merlu.

La compensation financière est de 13.960.000 euros (non 13.930.000 comme écrit par erreur dans l’accord paraphé) répartis comme suit :

- 8.720.000 euros à la charge de l’UE (droits de pêche + appui sectoriel) soit 62,5% ;

- 5.240.000 euros à la charge des armateurs soit 35,5%.

La durée de l’APPD est de 5 ans, comme c’est le cas de tous les APPD signés ces dernières années, à l’exception de ceux conclus avec la Côte d’Ivoire et les Seychelles qui durent 6 ans. Il s’y ajoute que tous les APPD sont élaborés suivant la même maquette et contiennent les mêmes dispositions.

Eléments de réponse à quelques critiques formulées sur l’APPD d’avril 2014

 

 

Ces critiques sont relatives notamment à :

  • la non participation des acteurs et des ministères aux négociations de l’APP

Toutes les explications du monde ne sauraient justifier l’absence à la table de négociation de représentants des ministères chargés respectivement des Finances et des Affaires étrangères et celle des acteurs.

  • des licences refusées aux sénégalais mais accordées à des bateaux européens

 

Si tel est le cas, c’est anormal. Pour éviter la récurrence de tels faits, il conviendrait de veiller à l’application effective des dispositions de l’article 16 du décret 98-498 du 10 juin 1998 portant sur la situation générale du programme des licences établie, chaque année, par le directeur des pêches maritimes suivant les indication que le CRODT est tenu de lui fournir.

  • au bradage des ressources, contrepartie humiliante et insignifiante pour le Sénégal

 

En comparant les compensations servies par l’UE dans les APP thoniers signés respectivement avec Maurice, Seychelles, Gabon, Côte d’Ivoire, Madagascar, Mozambique, Cap-Vert, Comores, Sao Tome et Principe et Kiribati, on se rend compte que celle obtenue par le Sénégal 1.744.000 euro par an (8.720.000 divisé par 5) est l’une des plus élevées servies dans des accords thoniers. Seules les Seychelles ont obtenu plus avec des captures autorisées de 50.000 tonnes soit plus que nos 14.000 tonnes.

  • pourquoi les possibilités de pêche ne sont pas exprimées en TJB ?

Accorder des capacités de pêche exprimées en tonnes de jauge brute (TJB) procède d’un mode de calcul obsolète fondé sur les captures effectuées, il y a dix ou vingt ans par des armements de même tonnage qui disposaient d’engins de détection et de matériels de pêche bien moins perfectionnés que les équipements électroniques d’aujourd’hui. De surcroît, en privilégiant des estimations par rapport aux prises réelles, le calcul en tonnes de jauge brute(TJB) ne permet pas la mesure de la ponction réelle effectuée sur les stocks.

 

  • pourquoi n’avoir pas attendu le nouveau code de la pêche ?

 

Cette critique aurait été pertinente si, au préalable, on avait pris la précaution de bien lire l’APPD afin d’y identifier des insuffisances corrigées dans le nouveau code en cours de finalisation. Alors, on aurait pu reprocher au ministre de la pêche de n’avoir pas attendu l’adoption du nouveau code. En outre et surtout, ce qui lie l’UE et le Sénégal, c’est un accord international qui a une force supérieure à celle d’une loi nationale.

La conférence de presse du CRODT

 

Le 1er juillet 2014, les chercheurs du CRODT ont tenu une conférence de presse au cours de laquelle, ils ont fait connaître leur part de vérité. Leurs conclusions générales sont reprises ci-dessous :

 

  • la flottille européenne (2 merlutiers, 2 canneurs et 28 senneurs) dans les eaux sénégalaises ne constituerait pas une menace pour les ressources halieutiques en général, les activités de la pêche artisanale et la sécurité alimentaire nationale ;
  • le principe du surplus de production est rigoureusement respecté ;
  • seuls les thons tropicaux et les merlus noirs, dont le potentiel halieutique ne peut pas être exploité entièrement par l’armement national, ont fait l’objet de la signature d’un accord de pêche ;
  • les 2 merlutiers seront suivis et évalués pendant 1 an par le CRODT ;
  • les senneurs, quel que soit leur effectif, ont un très large rayon d’action et sont, de toute façon, présents dans la zone du Golfe de Guinée ;
  • nécessité d’un suivi strict biologique, surveillance des pêches, économique, financier et social pour mieux rendre compte des impacts éventuels de l’accord.

Que peut gagner le Sénégal avec l’APP paraphé le 25 avril 2014 ?

 

Rappelons que dans les années 70, Dakar était le port thonier le plus important de la côte ouest africaine, des investissements importants ont été consentis dans la construction du môle 10, d’entrepôts frigorifiques (Sofrigal et frigo thon) et de 3 grandes conserveries de thon.

Avec le l’APP d’avril 2014, Dakar a l’opportunité d’envisager de regagner progressivement une place parmi les ports de transbordement de la côte ouest-africaine, eu égard à ses infrastructures et ses plans d’eaux qui ont subi un lifting récemment, ainsi que sur son atout principal, sa proximité avec les grands marchés thoniers européens. Ceci n’est pas négligeable, eu égard au prix du carburant qui ne cesse d’augmenter d’année en année.

L’industrie thonière a également une chance de regagner ses galons d’antan et à côté de la SCA-SA pourraient rouvrir d’autres conserveries, par exemple dans le cadre de sociétés mixtes qui sont un volet de l’APPD paraphé. Ainsi, le Sénégal a 5 ans pour entamer la reconquête de ses atouts perdus, comme un grand port de transbordement d’abord et ensuite, comme une place thonière importante.

Par ailleurs, les thoniers senneurs européens, en 2013, ont transbordé à Dakar, plus 60.000 tonnes de thon pêchés en dehors des eaux sénégalaises et ont renforcé les activités des PME/PMI opérant dans les filières de l’avitaillement (carburant, eau, électricité sel pour saumure, vivres, glace, pièces détachées, emballage ainsi que les intermédiations portuaires comme la consignation, l’aconage, la manutention et les frais portuaires.

Conséquences probables du recours au parlement européen

 

Il n’est pas inutile de signaler qu’à l’Ile Maurice, les acteurs et la société civile ayant considéré que l’APPD a été négocié dans des conditions non transparentes ont, comme au Sénégal, protesté vivement et pire ont organisé des manifestations de rues monstres. Après plusieurs semaines d’invectives et une mission à Bruxelles, le calme est revenu. Il a été proposé la constitution d’un « comité consultatif sur la pêche et les enjeux maritimes » rassemblant toutes les parties prenantes. Le conseil national consultatif qui existe au Sénégal, ne pourrait-il pas jouer le même rôle ?

Les acteurs menacent de saisir le chef de l’Etat, l’Assemblée nationale et surtout, le parlement européen. A ce propos, nous ne pouvons pas, un seul instant, imaginer qu’ils iront jusqu’à porter leurs revendications à Bruxelles afin faire annuler l’accord ou retarder sa mise en œuvre.

Les insuffisances de l’APPD portant notamment sur les débarquements d’une partie des captures de thon, l’embarquement d’un plus grand nombre de marins, peuvent trouver solution lors de la toute première réunion de la commission mixte prévue à l’article 7 de l’accord-cadre. A cette commission mixte, rien ne s’oppose à la présence de représentants des acteurs.

La ville de Victoria (Seychelles) est devenue grâce à la détermination de ses dirigeants, ainsi qu’avec, en partie, les investissements importants obtenus via les accords de pêche, devenu la plus grande place thonière du monde, pourquoi pas Dakar avec le temps, de la détermination de la sueur et sans doute des larmes ?

 

Sogui DIOUF Vétérinaire soguidiouf@gmail.com