il y a 8 ans 4 050 Actualité
CONTRIBUTION : L’ACCORD DE PECHE « FANTOME » ENTRE LA FEDERATION DE RUSSIE ET LE SENEGAL
″ La Mauritanie ferme ses eaux aux pêcheurs de Saint Louis tandis que le Sénégal, s’apprête à ouvrir les siennes aux bateaux russes ? ″
Rappel
Comme chaque année, à l’approche de la saison froide, les bateaux russes, en sollicitant des autorisations de pêche au Sénégal, se rappellent au bon souvenir des sénégalais. L’accès aux eaux des pays situés sur la façade atlantique nord-ouest africaine, comme le Sénégal, est d’une importance vitale pour les chalutiers pélagiques russes.
Nous avons été surpris par les propos tenus, à l’Assemblée nationale, par le ministre de la Pêche et de l’Economie maritime (MEM), lors de l’examen du budget de son département.
En effet, il soutient que des accords de pêche existent entre le Sénégal et la Russie depuis 2011 et que c’est le protocole d’application qui n’est pas encore signé. L’affirmation de M. le ministre nous surprend beaucoup et dans les lignes qui suivent, nous allons développer notre argumentaire.
L’accord signé à Moscou en février 2011
Un accord entre la Fédération de Russie et le Sénégal a, certes, été signé par le ministre d’Etat chargé des Affaires étrangères lors de sa visite à Moscou du 7 au 9 février 2011. Cet accord le 8 février 2011 ne concerne, toutefois, que la coopération en matière de surveillance des pêches, de recherche scientifique, de coopération entre opérateurs économiques et de formation dans le domaine de la pêche. Il ne prévoit pas du tout, l’octroi de droits d’accès aux zones de pêche qui constitue la quintessence de tout accord de pêche.
En outre, pour avoir, personnellement, à la fin des années 70, participé à de nombreuses négociations d’accords de pêche (Italie, Espagne, Union Européenne) nous nous permettons de rappeler qu’un accord de pêche, après sa signature doit être ratifié par le Parlement, puis promulgué par le Président de la République (PR) et enfin, publié au journal officiel. Nous n’avons pas connaissance qu’une telle procédure ait été suivie avec l’accord du 8 février 2011 qui saurait être un accord de pêche.
A cet égard, nous nous demandons pourquoi :
- l’annulation à la fin du mois d’avril 2012 des 29 licences de pêche attribuées à des bateaux russes, a-t-elle été faite par simple lettre du ministre de la Pêche et des Affaires maritimes (MPAM) adressée au représentant de la société privée panaméenne Overseas Express, plutôt que par une dénonciation formelle ;
- dans l’accord du 8 février 2011, nulle part l’octroi de droits de pêche n’est prévu ;
- par lettre du 10 février 2011, le MEM a demandé au Président de la République (PR) de la première alternance, l’autorisation pour l’établissement de licences de pêche pour exploiter des ressources pélagiques. Ce PR par courrier du 1er mars 2011, lui a répondu favorablement ?
- le même MPAM avait-il à saisir le Conseil des ministres en décembre 2012, pour demander l’autorisation de faire revenir les bateaux russes expulsés, 9 mois auparavant ?
- au conseil interministériel sur la pêche tenu le 18 juin 2013, le MPAM a posé, une nouvelle fois, le problème du retour des bateaux russes. La recommandation issue de cette instance a été de procéder d’abord à une évaluation de l’impact des opérations des bateaux étrangers ciblant les petits pélagiques sur les ressources et le budget.
Tous les points rappelés ci-dessus portent sur des droits de pêche et l’accord de février 2011 supposé être de ″pêche″, n’y est cité nulle part.
Enfin, comment l’ancien PR (celui de la première alternance) et son MPAM peuvent-ils ignorer l’existence d’un accord de pêche entre la Russie et le Sénégal, signé le 8 février 2011 ? Si cet accord existait vraiment n’en auraient-ils pas parlé ?
La sardinelle et son importance au Sénégal.
En 2012, les débarquements de poissons ont été de 447.961 tonnes dont 91% par la pêche artisanale. Les deux espèces de sardinelles (la sardinelle ronde et la plate) ont représenté 55,30 % des débarquements totaux et 61,2 % de ceux de la pêche artisanale.
S’agissant de l’emploi direct, environ 60.000 pêcheurs artisans ont été dénombrés au Sénégal dont 20 % (soit près de 12 000) relèvent de la seule pêcherie de sardinelles.
En outre, de nombreux métiers connexes (distribution du poisson, transformation artisanale) associés à la pêcherie de sardinelles se caractérisent par de faibles barrières à l’entrée en termes de capital, de qualification et de savoir-faire et emploient des milliers de personnes.
L’amont de la filière des sardinelles mobilise des milliers de personnes qui exercent des activités d’où ils tirent l’essentiel de leurs revenus. L’importance de la composante féminine dans la transformation artisanale constitue un facteur favorable aux politiques de réduction de la pauvreté.
Enfin, au plan de la sécurité alimentaire, les sardinelles constituent la source de protéine animale la plus accessible en termes de prix et de quantité, face au renchérissement des prix des autres produits d’origine animale et la baisse du pouvoir d’achat accentuée par une croissance démographique rapide qui est de 2,6 %. Dans beaucoup de familles sénégalaises, actuellement, seul le repas de midi à base de riz au poisson (sardinelles) est assuré.
Etat d’exploitation des stocks de petits poissons pélagiques côtiers.
Le groupe de travail FAO/COPACE réuni en juin 2013, à Nouadhibou, a constaté que comme les années précédentes, les stocks de sardinelles sont surexploités et que l’effort de pêche doit être substantiellement réduit.
Il s’y ajoute qu’un des biologistes des pêches les plus prestigieux de l’heure PAULY soutient ce qui suit : les navires étrangers qui pêchent la sardinelle ont considérablement réduit la population qui se déplace entre le Sénégal et la Mauritanie. Ils pêchent plus de deux fois que le stock peut supporter. Même la pêche artisanale prend trop de poissons et que ses captures devaient être limitées. A ce propos, ne serait-il pas difficile de dire aux pêcheurs locaux, d’arrêter de pêcher pour nourrir leur pays alors que les chalutiers étrangers sont autorisés à emporter de grosses prises à l’étranger ″.
Pourquoi les Russes proposent-ils au Sénégal beaucoup moins qu’au Maroc et à la Mauritanie ?
Dans l’accord de pêche Maroc-Russie signé le 3 juin 2010 et qui a été ensuite renouvelé le 14 février 2013, il est noté une augmentation de 100 % pour la compensation financière et de 40 % pour les captures. Par ailleurs, au Maroc le nombre de navires russes autorisés à pêcher est limité à 10 et chaque bateau ne doit pas jauger plus de 7.765 TJB. Les 10 bateaux sont autorisés à pêcher, par an, 100.000 tonnes de poissons pélagiques. De plus, il était prévu l’embarquement de 14 marins entre 2010 et 2012 et de 16 marins depuis le 14 février 2013. Les bateaux paient également des licences de pêche et tous les règlements sont effectués au trésor.
La Mauritanie, elle, percevait 180 $ US par GT (arrêté du 31/07/ 2006) puis 206 $ avec les licences libres. A présent, la Mauritanie réclame à l’UE 329 € par tonne de poisson ce que la Russie déclare être dans l’impossibilité de payer, menaçant de surcroît de traduire l’Union Européenne devant l’OMC pour concurrence déloyale (Agritrade, septembre 2014).
Au Sénégal si on se réfère au procès-verbal de la réunion de la commission mixte sénégalo-russe tenue à Dakar les 28 et 29 mars 2011, la Russie n’offrait pour 20 chalutiers que 100 $ au maximum par tonne de poisson pêché. Il est à noter que la commission mixte n’avait pas à examiner un point relatif à l’accès aux ressources halieutiques, celui-ci ne figurant pas dans l’accord de coopération de février 2011.
Notons que les petits pélagiques côtiers pêchés au Maroc, en Mauritanie et au Sénégal sont puisés sur le même stock.
Rappelons que les bateaux russes qui pêchaient dans le cadre des ″fameuses autorisations de pêche délivrées entre 2010 et 2012 ne payaient que 35 $ la tonne, ne débarquaient pas de captures au Sénégal, n’embarquaient pas de marins sénégalais, ne payaient pas de licences, ne s’avitaillaient au port de Dakar et effectuaient leurs transbordement en rade du PAD. Ils n’apportaient aucune valeur ajoutée à notre pays sans compter qu’ils concurrencent nos produits sur les marchés africains d’exportation.
Les mauvaises pratiques de pêche des bateaux russes.
Selon GREENPEACE dans son rapport ″Mains basses sur la sardinelle″, il avait été délivré aux bateaux russes entre 2010 et 2012, 44 autorisations de pêche et dans ce lot, 29 bateaux ont effectivement pêché. Vingt et un (21) parmi ces 29 chalutiers ont commis 41 infractions en Zone interdite qui fait face à une nurserie et où partant, la pêche est interdite.
Suggestions
Entre, 2011 et 2015, les exportations de sardinelles rondes ont été multipliées par 12 et celles de chinchards par 2. Ces deux espèces sont celles qui agrémentent le plus, le riz au poisson servi dans bon nombre de familles sénégalaises, ainsi que dans les petits restaurants qui font le bonheur des travailleurs déjeunant en dehors de leurs foyers.
Eu égard à la forte augmentation des exportations de sardinelles, espèce qui fait le plus l’objet d’une consommation directe des populations, une réflexion, sur les exportations ne doit-elle pas être engagée?
Comme on le sait, les sardinelles occupent une place très importante dans la pêche au Sénégal, tant en ce qui concerne les mises à terre que la consommation locale, les emplois et les exportations.
Ne devons-nous pas décider pour une question de sécurité alimentaire et de stabilité sociale :
- d’une part, de réserver l’exploitation de la sardinelle à la pêche artisanale ;
- d’autre part, d’interdire l’exportation des sardinelles.
Conclusion.
Un accord de pêche est la base juridique sur laquelle doit reposer tout protocole d’application. Si le forcing auquel nous assistons, en ce moment, réussit, nous serions en droit de nous demander si le Sénégal n’était pas devenu un pays où prévaut l’informel.
Par ailleurs, dilapider ses ressources halieutiques, pour ensuite dépêcher le ministre chargé de la pêche porter un message au Chef d’Etat de Mauritanie pour, sans doute, lui demander d’ouvrir les eaux de son pays aux pêcheurs artisans sénégalais, n’est pas bien inspiré.
Nous espérons que l’accord du 8 février 2011 avec, bien en vue, des indications portant sur les droits d’accès aux ressources, accordés aux bateaux russes sera publié et que les professionnels seront associés aux négociations portant sur le protocole d’application. Ainsi, seront évités les incompréhensions enregistrées en avril 2014, après la signature de l’accord de pêche Sénégal-UE.
Nous espérons que l’accord du 8 février 2011 entre la Fédération de Russie et le Sénégal, surtout avec ses éventuelles indications portant sur les droits d’accès accordés aux bateaux russes, sera publié d’une part et que de l’autre, les professionnels seront associés aux négociations concernant le protocole d’application.
Il y a eu une première affaire de bateaux russes avec les socialistes, une deuxième avec les libéraux de la première alternance, la seconde alternance aura-t-elle aussi, la sienne?
En répétant mille fois une contre vérité on n’en fait pas, pour autant, une vérité.
Dr Sogui DIOUF Vétérinaire soguidiouf@gmail.com