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Alerte ! Les petits pélagiques dans la zone nord-ouest africaine en danger
Petits mais utiles !
Les petits pélagiques sont d’une grande importance écologique pour la fonctionnalité des écosystèmes côtiers. Ils forment un maillon essentiel de la chaine trophique qui maintient la biodiversité des écosystèmes marins et côtiers en Afrique de l’Ouest. En tant qu’espèces se nourrissant de plancton, ils constituent les proies d’une grande diversité d’autres poissons et d’oiseaux aquatiques.
De même, les pêcheries de petits pélagiques ont un fort potentiel de création d’emplois. Une étude récente, commanditée par le PRCM, estime qu’au Sénégal, ils fournissent globalement près de 84 158 emplois directs et indirects représentant près de 55 % des effectifs totaux du secteur de la pêche. Dans le cas de la Mauritanie, ces pêcheries emploient 11 495 personnes dont 3 330 pêcheurs. En Guinée Bissau, les résultats de l’étude montrent que plus de 60 % des travailleurs du secteur de la pêche en dépendent.
Par ailleurs, il existe beaucoup d’activités post-capture qui génèrent plusieurs emplois qualifiés ou non. C’est notamment le cas de la transformation artisanale de petits pélagiques (fumage, salage et séchage) qui est très importante dans les pays comme le Sénégal et la Guinée. En outre, bon nombre de personnes s’activent également dans la commercialisation (en gros et en détail), le conditionnement et le transport.
D’autre part, les petits pélagiques jouent un rôle majeur dans la création de richesses des pays de la zone nord-ouest africaine. A titre illustratif, les estimations faites dans l’étude sus-mentionnée font état d’une valeur ajoutée de 95,8 milliards de francs CFA (environ 144.827.000 euros) générée en 2015 uniquement par les pêcheries de petits pélagiques au Sénégal, 1,2 milliards d’Ouguiya MRU (environ 24.031.600 euros) en Mauritanie, et 4,5 milliards de francs CFA (environ 6.097.960 euros) en Guinée Bissau.
Sur le plan commercial, à travers les exportations, les petits pélagiques apportent des devises considérables qui contribuent à la réduction du déséquilibre des balances des paiements des pays.
En termes de sécurité alimentaire, les petits pélagiques constituent une composante essentielle pour la sécurité alimentaire des populations des pays de la sous-région. Consommés frais ou transformés, quelle que soit la période de l’année, ces espèces représentent la principale source de protéines animales la plus accessible surtout pour les populations à faible pouvoir d’achat. Toutefois, en dépit de leur importance, les petits pélagiques deviennent de plus en plus rares et chers pour les consommateurs. Il y a une décennie, les méventes de sardinelles étaient assez fréquentes du fait d’une offre souvent largement supérieure à la demande. Actuellement, le poisson se fait rare au Sénégal, voire introuvable durant plusieurs semaines successives.
Une ressource riche, en proie avec plusieurs menaces
Une pression de pêche excessive et parfois illicite
En l’état actuel, les petits pélagiques sont en surexploitation. Dans la zone nord-ouest africaine, exception faite de la sardine, la situation de leurs stocks n’a cessé de se détériorer au cours de ces dernières années. Au Sénégal, ils sont surtout ciblés par une flottille artisanale pouvant aller jusqu’à 1 200 unités de pêche de sennes tournantes et de filets maillants encerclants. La Mauritanie et la Guinée Bissau ont, quant à eux, opté pour la délivrance de licences de pêche aux bateaux étrangers pour leur exploitation dans leurs eaux territoriales.
En plus de la pression excessive de pêche, les petits pélagiques font aussi face à une intense pêche illicite puisqu’étant illégale, non déclarée et non réglementée (INN). C’est le fait, entre autres, des pirogues et des bateaux étrangers mais aussi parfois des nationaux pêchant sans licence ou permis de pêche, des incursions dans des zones interdites comme les aires marines protégées, la fréquentation de zones de frayère, etc.
Une intensification des changements climatiques
A l’instar de la planète toute entière, le climat de la zone nord-ouest africaine est en train de subir de plein fouet des changements majeurs. Parmi les plus perceptibles et les plus préoccupants au niveau de la zone côtière et estuarienne que fréquentent les petits pélagiques, il y a le réchauffement et la salinisation des eaux de surface. Ces modifications majeures, combinée à la baisse de la pluviométrie qui diminue l’enrichissement des eaux marines par les fleuves et autres ruissellements, affectent négativement la production primaire (plancton) dont se nourrissent les petits pélagiques. Ceci cause leur éloignement des côtes et certaines espèces comme les sardinelles deviennent relativement plus abondantes au nord de la zone au détriment du sud.
Une généralisation des activités pétrolières et gazière offshore
Le secteur des hydrocarbures offshore a connu plus récemment un regain d’intérêt considérable. Ceci a abouti à des découvertes de gisements importants de pétrole et de gaz naturel dans la sous-région. Toutefois, les enjeux économiques attachés à ces découvertes ont tendance à minimiser la nécessité de protéger l’environnement marin et côtier afin de sauvegarder les moyens d’existence des populations, notamment celles dépendantes des petits pélagiques. En effet, les activités pétrolières et gazières offshore comportent de multiples nuisances qui constituent des risques majeurs pour l’abondance des petits pélagiques. Ces risques sont d’autant plus préoccupants que la plupart des activités pétrolières et gazières offshore dans la sous-région se déroulent à proximité et/ou au large de zones marines et estuariennes écologiquement vitales pour ces espèces.
Un développement de l’industrie de farine de poisson
Avec la forte demande mondiale, on assiste de plus en plus à un redéploiement et un développement rapide de l’industrie de farine de poisson dans la sous-région. Traditionnellement, la production de la farine de poisson était basée sur des espèces peu demandées pour la consommation humaine directe (cas de l’anchois du Pérou) et aussi mettait l’accent sur des captures excédentaires, sur des rejets de la pêche et des résidus de transformation. Mais actuellement, elle est presqu’entièrement fabriquée à base de sardinelles. Dans le cas particulier de la Mauritanie, 40 usines fonctionnelles étaient inventoriées en 2018 avec une production de 105 000 tonnes de farine de poisson utilisant environ 450 000 tonnes de sardinelles. Dans ce pays, il existe même des navires de pêche affrétés spécialement pour approvisionner les usines de farine de poisson. Or ces espèces, partagées par plusieurs pays de la sous-région et constituant la principale source de protéines d’origine animale, sont déjà en situation de surexploitation.
Une étroite marge de manœuvre pour sauver les petits pélagiques
Une forte sensibilité sociopolitique qui limite les capacités des Etats à réguler la pression de pêche sur les petits pélagiques
L’exploitation durable des petits pélagiques a eu des acquis tangibles grâce à la mise en place de cadres de gestion et l’amélioration des textes réglementaires au niveau local, national et sous régional. Toutefois, l’opérationnalisation de ces instruments de politique de pêche se heurte généralement à des contraintes réelles qui compromettent la régulation optimale de la pression de pêche sur les petits pélagiques. La forte sensibilité sociopolitique liée aux pêcheries pélagiques en est un des plus grands obstacles. En effet, du fait de la très forte dépendance aux petits pélagiques, l’ajustement de la pression de pêche à des niveaux compatibles avec la durabilité ainsi que l’application des mesures réglementaires se traduiront forcément par des pertes immédiates de moyens d’existences pour les communautés côtières. Or, les autorités étatiques ne sont pas généralement disposées à assumer et à faire face aux conséquences socioéconomiques qui résulteraient de telles décisions. En outre, les communautés concernées ont également un tel pouvoir de pression que peu de régimes étatiques dans nos pays osent prendre le risque de les mécontenter sous le prétexte de la stabilité sociale et politique.
De faibles capacités d’adaptation aux changements climatiques pour faire face aux tendances actuelles et futures
Les changements climatiques constituent aujourd’hui une préoccupation majeure à l’échelle planétaire qui suscite de plus en plus une grosse mobilisation internationale. Leurs conséquences négatives sur la répartition et l’abondance des petits pélagiques de la sous-région en particulier sont une réalité et devront se poursuivre sur le moyen et long terme. La seule possibilité qui s’offre aux Etats et acteurs du secteur est de mettre en œuvre des stratégies d’adaptation. Malheureusement, à l’instar de tous les Pays les Moins Avancés (PMA), les capacités d’adaptation de nos pays sont relativement très faibles. Malgré les efforts d’élaboration de plans d’adaptation spécifiques pour la pêche (comme le Sénégal en 2016) reconnu mondialement comme un secteur très vulnérable, aucun progrès significatif n’a été enregistré en matière de mise en œuvre de mesures qui pourraient sauver les pêcheries de petits pélagiques. La faiblesse des capacités pour faire face aux tendances actuelles et futures concerne, entre autres, le déficit de ressources humaines spécialisées sur cette problématique, le manque de coordination interinstitutionnelle, l’insuffisance des moyens financiers, et les lacunes en matière de données et connaissances sur les différentes dimensions en jeu.
Un gigantesque poids géostratégique du secteur pétrolier et gazier qui risque de s’imposer au premier plan face à l’environnement et la pêche
Au moment où les réserves des pays du Golfe Persique s’amenuisent et que des conflits minent cette région, les gisements offshore découverts ou en cours d’exploration en Afrique de l’Ouest attisent davantage la convoitise de grands acteurs publics et privés à travers le monde. Or, dans le secteur des hydrocarbures, cet attrait n’est principalement lié qu’à l’appât du gain financier sans souci majeur pour la durabilité des écosystèmes marins et côtiers. Ainsi, la plupart des acteurs concernés comme les grandes puissances et les sociétés multinationales sont dotées d’immenses pouvoirs qu’ils mettront toujours au profit de leurs intérêts. En même temps, si les Etats de la sous-région venaient à affirmer leur volonté politique et leur engagement à veiller sur les intérêts du secteur de la pêche, il est fort probable que seules les retombées financières de ces activités retiennent leur attention. Dans un tel contexte, malgré les alertes de la société civile et des professionnels du secteur de la pêche, il y a de fortes chances que les enjeux de la sauvegarde des ressources halieutiques en général et des petits pélagiques en particulier soient relégués au second plan voire ignorés.
Une gouvernance opaque et faible face au développement de l’industrie de farine de poisson
Une bonne gestion des ressources des petits pélagiques dépend de la disponibilité de connaissances fiables. La production de ces connaissances exige des moyens considérables. Malheureusement, ces dispositions au niveau de la sous-région font défaut. On note un manque d’équipements et d’applications informatiques appropriés pour la gestion de grandes masses de données ainsi que des plateformes conviviales de diffusion et de partage des données. Il subsiste toujours des lacunes de connaissance sur l’identité et la migration des stocks faute d’études suffisantes et coordonnées dans la sous-région. Les statistiques sur la flottille, l’effort (sorties, jours de mer, jours de pêche, etc.) et les captures (débarquements, transbordements, rejets, etc.), sont également nécessaires dans la caractérisation des pêcheries et dans l’évaluation indirecte des stocks.
Article de vulgarisation, mai 2020
Ecrit par Djiga Thiao1et Safiétou Sall Ba2
1 Chargé de recherches au Centre de Recherches Océanographiques de Dakar-Thiaroye (CRODT), Route du Front de Terre à Hann, BP 2241 Dakar, Sénégal
2 Spécialiste en communication au Partenariat Régional pour la Conservation de la zone côtière et Marine en Afrique de l’Ouest (PRCM), Villa n° 9866 Sacré cœur 3, Dakar, Sénégal